Un piquant différent

Pour mettre le feu aux mets

Thibault Fournal : « Je préfère me servir avec parcimonie d’un piment plus fort, ldont je cherche à retrouver l’attaque en bouche, que d’un piment plus doux en dose massive. »

Il est vrai que Thibault Fournal est du genre à aimer pimenter sa vie. Son parcours est pour le moins chaotique. Sa licence en droit et son diplôme de designer avec spécialisation typographie échouent à le faire vibrer. Le travail en agence publicitaire qui lui fait gagner son pain l’assomme. Du coup, il décide de vivre pendant un an sur un vélo à la faveur d’un job de coursier à Bruxelles. Le choix s’avère très “vida loca” : sa monture est un “fixie” en bonne et due forme, c’est-à-dire une bécane sans freins et sans vitesses. Passionné par cet univers, il se met à organiser des “alleycat” dans la ville, des courses illégales, et même le premier critérium à pignon fixe en Belgique.

À chacun sa madeleine de Proust. Pour Thibault Fournal (36 ans), Français installé à Bruxelles depuis 2011, l’alléchant souvenir ne renvoie pas à une quelconque Tante Léonie mais vers sa grand-mère. « Lorsque j’étais enfant, le mercredi chez mes grands-parents, on mangeait un plat avec les restes du rôti du dimanche qu’ils appelaient le “riz chinois”. Chaque fois, c’était différent mais avec une base de satay, de nuoc-mâm et une cuillère de sauce soja que l’on améliorait d’une pointe de sambal industriel. Cela m’a marqué », explique le jeune homme originaire de Beauvais.

« Je ne cherche pas à créer des sauces qui dégomment tout »

Puis en mars 2020 arrive le confinement. Thibault Fournal part pour la maison familiale en Auvergne, pensant y rester 15 jours. Il y restera 4 mois, soit l’occasion inespérée de se repenser. Plus de graphisme, plus de vélo. « Que vais-je faire de ma vie ? », se demande l’intéressé.

Il envisage alors le “worst case scenario”, celui d’une vie à l’arrêt pendant longtemps. Un choix avisé. Dans ce monde-là, il comprend que se tourner vers la nourriture, qu’il pratique depuis qu’il est étudiant, fait sens. « Je cuisinais très piquant, à tel point que je ne pouvais plus partager mes repas avec d’autres, c’était trop pour eux. J’ai néanmoins fait une étude de marché qui m’a permis de voir que le piquant, qui avait beaucoup de succès aux États-Unis, allait débarquer chez nous. »

« Le nerf de la guerre, c’est trouver des piments stables et dignes de ce nom »

Cette quête du feu dans l’assiette l’amène à dénicher des pépites, notamment à Berlin. « Des sauces artisanales disponibles en très petites quantités », explique-t-il. « Petit à petit, j’ai essayé de reproduire moi-même ces créations. Finalement, je suis arrivé à quelque chose de satisfaisant, c’est l’ancêtre de la “Sun Burn”, ma première sauce. J’ai compris qu’il y avait quelque chose à creuser. À partir de ce moment-là, je me suis mis à imaginer une à deux recettes par semaine. J’en ai 60-80 en stock, jusqu’ici il n’y en a que 15 utilisées commercialement. »

« Je ne cherche pas à créer des sauces qui dégomment tout. J’ai une vision du piquant qui diffère des fabricants classiques. Je préfère me servir avec parcimonie d’un piment plus fort, le ghost pepper, par exemple, dont je cherche à retrouver l’attaque en bouche, que d’un piment plus doux en dose massive. Il y a tellement de piments différents qu’il faut bien les connaître pour savoir comment les utiliser. Mon but est de souligner les mets et les produits. C’est le cas avec ma gamme “Ultra” qui met en évidence des produits de saison, comme par exemple le cédrat, dont je cherche à rendre l’amertume. J’ai fait cela aussi avec l’orange sanguine ou la pomme, que je travaille en l’infusant dans l’huile d’olive et en la cuisinant comme un tajine. »

« Ma sauce la plus complexe est la “Pears for Tears” », assure Thibault Fournal. « Mon but était de faire une sauce à base de poire qui puisse accompagner des plats classiques comme une blanquette de veau. C’est hyper subtil, une blanquette, avec son goût de crème un peu acide, la saveur du veau, de la carotte et du champignon. Ajouter du Tabasco sur un plat tel que celui-là est l’assurance de tout ruiner. La “Pears”, en revanche, va sublimer la préparation. »

« Le nerf de la guerre, c’est trouver des piments stables et dignes de ce nom. L’approvisionnement est très compliqué. La plupart du temps, les marchands ne les distinguent pas, on les vend par exemple sous l’appellation fourre-tout “pili-pili”. Il manque clairement un système d’appellation d’origine contrôlée sur ce produit.

Sans oublier que la plupart des piments sont vendus séchés en ligne dans un grand flou généralisé. Par exemple, le chipotle, qui est un piment censé être fumé au bois de pécan, fait rarement valoir un profil organoleptique cohérent. Du coup, je le remplace dans les recettes par du pimenton de la Vera en AOC », précise celui qui a initié une collaboration avec BIGH pour produire des piments sur le toit des abattoirs d’Anderlecht.

Au fait, pourquoi “Swet” ? « Parce que sur mon vélo, je suis tout le temps en sueur », explique Fournal. Et que bien sûr, la sauce piquante, elle aussi, fait transpirer. »

Envie d’une délicieuse recette avec une sauce Swet ?