Des bières urbaines
En plein cœur de Bruxelles
Toutefois, le houblon les rattrape à la faveur du vent nouveau qui souffle sur le secteur. Nacim et Henri, bientôt rejoints par François Simon (30 ans), se passionnent pour les jus signés par des pionniers comme la Brasserie de la Senne ou De Ranke. À tel point qu’ils décident de mettre la main au brassin pour sortir quelques “batches” de leur colocation de la rue de l’Ermitage à Ixelles.
L’histoire naît dans un kot d’étudiant. Nacim Menu (33 ans) et Henri Bensaria (31 ans) sont inséparables. Vous imaginez d’ici les soirées arrosées à la bière bon marché ? Pas vraiment, le duo est plutôt éclairé ; pour preuve, il suit des cours d’œnologie quand les autres pataugent dans la Cara Pils.
« Il nous fallait une brasserie avec une salle de dégustation pour être le plus proche possible de notre public »
Tout aurait dû s’arrêter là, car une fois les études achevées, Nacim, Henri et François débutent leurs carrières professionnelles respectives dans le cinéma, l’enseignement et la publicité. Un grain sable détraque les rouages de la belle mécanique : Nacim s’envole pour le Québec où l’effervescence autour des microbrasseries le sidère. Il revient à Bruxelles avec la certitude qu’il y a là une carte à jouer. Bien sûr, il embarque ses deux compères dans l’aventure.
En 2017, le trio s’installe au rez-de-chaussée des anciennes usines Saint-Michel, un lieu brut de décoffrage. Ils arrivent bardés : non seulement ils ont déjà leurs recettes, mais en plus ils possèdent leur propre vision de la bière inspirée par des références anglo-saxonnes comme The Kernel Brewery, Brew By Numbers ou Partizan. « D’emblée, nous avons voulu une brasserie avec une salle de dégustation, nous voulions être le plus proche possible de notre public », détaille Nacim. Ce goût du circuit court fonctionne encore aujourd’hui dans la mesure où 90 % de la production est vendue sur le territoire bruxellois.
« Nous prenons le temps de bien faire les choses, à l’image de notre pils, la 81 Express, dont la recette repose sur des houblons tchèques »
Des erreurs de jeunesse ? Bien sûr, il y en a eu. « Au départ, nous avons suivi la mode des bières trop chargées ; désormais nous veillons beaucoup plus à l’équilibre », concède Henri. Il reste que la force de L’Ermitage réside de sa faculté d’expérimentation. Dotés de palais sans œillères, les trois amis tentent tout, des fermentations mixtes jusqu’aux ingrédients les plus inattendus, en passant par des vieillissements en barriques.
Parmi les créations qui marquent, on pointe la Berto’s Early Breakfast, une IPA fermentée avec de l’orange sanguine qui rend hommage à une personnalité bien connue des amateurs de bière artisanale bruxellois, à savoir Alberto Cardoso, administrateur du musée de la brasserie Cantillon. Il faut aussi mentionner une bière à base de fleurs de sureau réalisée avec Glen Ramaekers du restaurant Humphrey ou Lune Rose, une blanche légère au pamplemousse italien.
Afin de pouvoir se permettre de telles digressions, L’Ermitage s’appuie sur une gamme de quatre bières qui constituent le sol ferme du projet. On notera qu’elles sont élaborées sur des durées qui varient entre 4 et 6 semaines, un détail qui en dit long à une époque où les industriels s’emploient à accélérer les temps de fabrication. « Nous prenons le temps de bien faire les choses, à l’image de notre pils, la 81 Express, qui est entrée assez tardivement dans notre assortiment, car cela demandait pas mal de savoir-faire. Nous la voulions peu alcoolisée, non filtrée et brassée avec des houblons tchèques, un hommage à la tradition », commente Nacim.
Outre la Lanterne (une IPA racée qui s’associe à la perfection avec les saucissons du boucher Maréchal à Gérouville, en Gaume), la Soleil (une blanche brassée sans ajout d’épices ni écorces d’orange) et la Noire du Midi (une “porter” bien houblonnée), le quatrième as de la brasserie est une pure merveille : la Théorème de l’Empereur. Véritable bière étendard de leur savoir-faire, la Théorème se découvre comme une pale-ale florale obtenue à partir d’un thé au jasmin glané après de la Septième Tasse, un magasin de thé réputé à Bruxelles.
À mille lieues de l’imagerie trop souvent kitsch de la bière, les trois associés ont opté pour des étiquettes et un graphisme inspirés par le Tarot de Marseille. On doit cette trouvaille, aux contours ésotériques, à une collaboration avec l’illustrateur Krump, un talent connu entre autres pour son travail avec le rappeur Roméo Elvis.